Torment Tides of Numenera (test par Dagon)

La campagne de financement collaborative Torment Tides of Numenera a été l’une de celles qui a marqué un tournant dans l’histoire du jeu vidéo, démontrant l’immense potentiel de la nostalgie de joueurs pour certains titres mythiques du jeu vidéo. Se réclamant suite spirituelle de Planescale Torment, ce dernier faisait l’objet d’attentes démeusurées de la part de nombreux joueurs dont les souvenirs peuvent avoir été magnifiés par le prisme de notre propre perception [skill check: perception].

Cette dernière phrase et le ton de ce test ne va que préfigurer ce que Torment: Planes of Numenera peut offrir au joueur. Pour se forger un avis, subjectif par nature, décortiquer les différentes phases de gameplay en les soumettant à une analyse sans artifice parait indispensable [skill check: perception].

 

Des machines étranges…

Dès le lancement du titre le joueur est dans le bain avec le choix d’un avatar ou plutôt d’une entité masculine ou féminine, dont la représentation sera aussi laide l’une que l’autre. Avec une introduction des plus verbeuse, le joueur sera heurté à des choix : une lune explose, le joueur tombe dans le vide : faut-il se livrer à une introspection intérieure, essayer de ralentir sa chute ou prendre position pour accélérer. Aussi absurde que puisse se présenter les choix, ceux-ci déboucheront inexorablement vers des résultats différents, et tout le titre se focalise sur ce point : le choix [skill check: initiative].

Torment est loin des poncifs du genre, et même s’en éloigne totalement. Mis à part quelques rares combats qui semblent incontournables, ce dernier ressemble plus à une aventure textuelle où le joueur est confronté à de nombreux textes et dialogues qu’à un jeu de rôle en tant que tel. Soyons clair, ce jeu est réservé à ceux qui aiment lire, à ceux qui aiment faire des choix et découvrir les conséquences de leurs choix [skill check: Anamensis].

…les numeneras, d’étranges artifacts

L’avancement de votre personnage se fera par les points d’expérience, mais ces derniers ne résulteront pas particulièrement du nombre de créatures vaincues, mais se traduira plus par la résolution des quêtes, selon l’avancée du joueur dans le scénario, sans que la méthode employée par le joueur ne soit sanctionnée ou encouragée de quelle que manière que ce soit. Quelque part, le titre s’adapte au style du joueur, et c’est très bien comme ça.

Les personnages quant à eux seront plus originaux, tout en gardant certains aspects traditionnels, avec le choix entre le Glaive plus adapté au combat, le Nano, plus dans l’utilisation des objets technologiques et de l’utilisation de l’énergie ou encore le Jack, le touche à tout sachant utiliser le moindre objet trouvé en chemin. Ce ne sera certainement pas le système de progression du personnage qui démarquera ce titre, avec ses trois statistiques et les quelques compétences qu’on peut choisir.

La fiche de perso de votre serviteur : spécialisé blabla

Ces dernières n’auront que 3 crans de progression et le personnage ne disposera que de 4 vraies avancées de niveau et quatre sous-avancées permettant d’améliorer certains pans de la fiche de personnage. On notera aussi la présence d’artefact aux effets à double tranchant et les Numeneras sortes d’objets de puissance ne pouvant être transportés en trop grand nombre. Je ne rentrerai pas dans le détail, mais ce qu’il faut savoir c’est que la fiche de personnage et la progression sont assez basiques, avec toutefois quelques compétences et talents à sélectionner histoire de spécialiser votre personnage et ses suivants dans des tâches bien spécifiques. La quasi-totalité des dialogues et des interactions avec l’environnement impliqueront en effet l’usage d’un réservoir de l’une de vos trois statistiques (force, célérité et intellect), pour lesquelles vous pouvez attribuer un taux d’effort afin d’obtenir un pourcentage de réussite.

Mais quel est le sens de la vie…

Le résultat sera que le jeu sera très « couteau suisse ». Un joueur souhaitant se focalise sur des combats améliorera ses compétences de combat et aura nettement moins d’occasion de les éviter, le joueur se focalisant sur le développement du réservoir de ses statistiques et de celui de ses compagnons sera à même d’utiliser toutes ces compétences afin de résoudre les différentes quêtes par l’utilisation de compétences ou par le dialogue. A ce titre le jeu fait assez fort. La plupart des joueurs choisiront, avec raison, de privilégier le développement de ces réservoirs de statistiques, afin d’orienter le jeu vers ce qu’il sait faire le mieux, la discussion et les interactions scénarisées, les mécanismes de combat étant quant à eux un peu décevants.

Lorsque tout échoue, de rares moments de baston

Au caractère brouillon et peu pratique du temps réel avec pause adopté par le vénérable Planescape Torment, Inxile a eu l’excellente idée d’y substituer un mode tour par tour tout à fait honorable, quoiqu’un peu lent. Les combats gagnent donc en visibilité et en intérêt, mais on ne peut hélas que relever le caractère basique et peu élaboré des compétences disponibles. Au final, même si l’abandon du temps réel avec pause est providentiel, les options disponibles sont plutôt réduites et les tactiques pratiquement inexistantes. Il s’agira plus de choisir quel type de dégâts sera efficace sur tel ou tel type d’adversaire. Point intéressant tout de même, la possibilité d’agir sur les protagonistes par la discussion (même en plein combat), ce qui est une nouveauté bienvenue dans le genre.

Ce ne sera donc pas le point fort du jeu. Entre des compétences à l’utilisation trop facile, et des combats rarement à la hauteurs, Torment est et reste avant tout un jeu de dialogues, de textes et de choix qui n’est clairement pas pour tout le monde. Dans les regrets à exprimer, ce sera plutôt au niveau du scénario et de l’univers. On est en présence d’un jeu à part, se déroulant 1 milliard d’années dans le futur. Un monde totalement barré, aux technologies incompréhensibles, où on se demande comment les habitants, eux-mêmes complètement tourmentés peuvent vivre ou survivre tellement l’étrangeté de l’univers parait démesurée et peu crédible. Le tout passe difficilement pour les esprits cartésiens où le mélange de technologie et de discours métaphysique augmente de manière exponentielle le risque de perdre le joueur dans les méandres scénaristiques.

Les graphismes sont assez irréguliers. Ici c’est assez stylé

Bref, pris au 1er degré le jeu se perd dans des délires mystico-technico-métaphysiques où le prétexte du milliard d’années dans le futur passe mal. Si l’on aborde par contre ce dernier par l’angle philosophique, en relevant une foule de métaphores présentes dans le jeu (le labyrinthe, les reliquats, le biophage, les flux…), les plus fins apprécieront au final les interrogations soulevées sur la place de l’acquis dans la conscience, l’importance de chaque individu dans l’univers, et les changements intérieurs qu’occasionnent les expériences sur l’individu.

Quelque part, Inxile a eu le cul entre deux chaises avec ce titre, où le monde complètement délirant dépeint nuit à la lisibilité de l’ensemble et de l’angle philosophique évoqué. Le studio aurait du faire le choix d’aller encore plus loin en en s’affranchissant de toute considérations logiques (pourquoi ne pas avoir carrément situé leur RPG dans l’imaginaire ou l’inconscient), ou alors il fallait rester plus traditionnel et se limiter à un titre de science fiction (un peu) plus traditionnel. Proposer une quête vraiment personnelle au joueur était un pari osé et casse-gueule, et le studio n’a pas réussi à éviter tous les écueils, avec un titre parfois trop délirant.

Entre les zones, des images de transitions, …avec du texte et des choix !

Il faut toutefois relever qu’il s’agit d’un titre unique, allant bien plus loin dans ses ambitions relatives à la découverte du joueur que le vénérable Planescape dont il s’inspire.

On se doit aussi de relever un certain nombre de promesses non tenues concernant les « stretch goals » lors de la campagne Kickstarter, ce qui nous rappelle que les promesses de bonus n’engagent que ceux qui les écoutent. Quelque part, il ne faut jamais oublier qu’une contribution à une campagne n’est qu’un acte de foi sur un projet et que les objectifs de leurs auteurs ne peuvent que varier en fonction des impératifs de délai et de développement.

Pour conclure, Torment Tides of Numenera est vraiment un jeu atypique, allant bien au delà du simple jeu de rôle malgré ses imperfections. Je le recommande à tous les adeptes de lecture cherchant à gratter au-delà d’un monde totalement barré pour apprécier ce titre à sa juste valeur, posant parfois des interrogations où c’est en fait indirectement au joueur qu’il s’adresse sur sa place dans l’univers, afin de répondre à la question posée dès l’annonce du jeu : que représente une vie ?

Notes

Graphismes & Sons : 3/5
Des graphismes sympathiques en vue de haut, mais plutôt inégaux en qualité. La bande son est adaptée, la musique plutôt planante se montre très (trop ?) discrète.

Interface de combat : 3/5
Du tour par tour assez bien foutu ! Mais avec trop peu de compétences et d’options tactiques pour être vraiment intéressantes.

Scénario : 3/5 (pas très prenant) avec mention spéciale (+1) pour l’aspect philosophique 4/5
Un monde totalement délirant et un scénario intéressant, mais noyé dans trop de délires technico-métaphysiques. On relève tout de même une double lecture philosophique bien sympathique et surprenante dans un jeu vidéo.

Jouabilité (fun) : 4/5
Le jeu est indiscutablement bien intéressant pour celui qui réussira à accrocher à l’univers et surtout aux interrogations sous-jacentes. Pour les autres, qui analyseront froidement les éléments du jeu pris séparément, le jeu sera au mieux un titre tout juste honorable.