Dès les premières minutes du jeu, l’ambiance se fait ressentir. Après une magnifique introduction, vous vous retrouvez dans les bottes de Geralt, un Sorceleur amnésique. Les sorceleurs sont des chasseurs professionnels de monstres, mutants stériles immunisés à nombre de maladies et poisons qui seraient fatals à tout être humain. Bien entendu, une telle condition génère une certaine méfiance, voire d’une véritable haine pour le commun des mortels. Le monde, s’il ressemble aux critères de fantasy traditionnels, est directement tiré des romans d’un auteur polonais Andrzej Sapkowski. Celui-ci est sombre, violent à souhait. Son personnage principal est un être au passé lourd, totalement désabusé, cynique, pour qui la vie n’a que peu de valeur, ce qui le rend d’autant plus intéressant. Le jeu est noté comme un jeu destiné aux adultes, et c’est le cas. Non seulement en raison de sa violence (le sang gicle lors des combats, et le jeu est parfois assez gore), ou de quelques séquences plus ou moins érotiques (les conquêtes et coucheries font partie du jeu), mais également en raison des dialogues (« ta mère, suceuse de nains… »), et des méandres scénaristiques du jeu (des sujets tels que la prostitution, le viol, la torture ou même la pédophilie sont abordés).
Le scénario et les quêtes présentent en effet des finesses rarement abordées dans les jeux de rôles traditionnels. Toutes vos décisions auront une importance dans le monde, et il sera courant de constater les conséquences de vos actes, des heures de jeu après. Il vous faudra faire preuve de finesse et de réflexion dans vos actes, sous peine de récolter bien plus tard, les germes du chaos que vous aurez semé. De même, les choix que vous ferez seront le plus souvent en demi-teinte, n’existant pas de « bon » ou de « mauvais » choix. Garderez vous la nourriture et les armes que l’on vous a confié, ou les donnerez vous aux elfs opprimés ? Protégerez vous la sorcière qui doit être brulée en décimant les villageois en colère, ou allez vous vous allier avec eux pour la tuer sans autre forme de procès ?
Toutes ces décisions se prendront dans le cadre du scénario principal, mais également via de nombreuses quêtes secondaires optionnelles. Votre mission étant, au départ de retrouver les voleurs d’un artifact volé dans le fort des Sorceleurs, votre personnage, quelqu’un de très désabusé, se retrouve quelque peu décalé, et traversera un monde extrêmement cruel et réaliste, mais ne souhaite pas s’impliquer vraiment dans les problèmes des gens. Quelques dialogues philosophiques sur la nature du bien et du mal et sur les actes des sorceleurs valent leur pesant d’or.
Le réalisme omniprésent dans le jeu, est malheureusement quelque peu atténué par certains aspects visuels du jeu. Entendons-nous, le jeu est de toute beauté, les animaux se promènent, les arbres bougent, et si les auteurs ont préféré se contenter d’un moteur DirectX9, la patte artistique est bien présente et les décors n’ont pas à rougir face à la concurrence. Par contre, on déplore beaucoup le manque de variété des personnages rencontrés. Cela est encore plus choquant, lorsque dans une même auberge, on retrouve des jumeaux, l’un au comptoir, l’autre à une table.
Au niveau du combat, on pouvait craindre des combats trop orientés action, avec un martelage de bouton de souris sans cervelle, mais c’est tout le contraire. On clique en effet sur un ennemi pour l’attaquer, mais le second clic de souris devra se faire au bon moment, pour que Geralt puisse enchainer une seconde attaque. Un clic trop rapide, et ce sera toute l’attaque qui sera perdue. Lorsque l’on couple cela avec un choix d’attaques en force, rapide, ou de masse, l’utilisation de sorts pour renverser, ralentir, enflammer l’ennemi, on se retrouve avec quelque chose d’assez tactique et intéressant, à des années lumières du goût amèr qu’avait laissé Gothic 3 à ce niveau. A noter qu’il n’est pas possible de récupérer ses points de vie d’un coup lors des combats, puisque les potions de soins sont à prendre AVANT, afin de régénérer les tissus plus vite lors des combats.
A propos de l’alchimie, justement, celle-ci est un des éléments indispensables du jeu et est extrêmement bien gérée. Geralt devra trouver des recettes pour ses potions, collecter les ingrédients, puis les mélanger. Celles-ci consisteront en des potions de régénération, des graisses d’améliorations de lames, … En fait on collectera plus les ingrédients pour les potions que les armes des ennemis tomber à terre. Une fois de plus le maître mot est le réalisme, puisque Géralt utilisera ses deux épées de sorceleur (l’une en acier contre les humains, l’autre contre les monstres, en argent), et ne pourra porter qu’une ou deux autres armes pour les revendre éventuellement.
Question progression du personnage, les quêtes donnent des points d’expériences, et ceux-ci peuvent être utilisés pour améliorer vos caractéristiques, mais aussi pour acquérir des compétences (attaques spéciales, sorts, artisanat). C’est simple, efficace et intéressant.
En définitive vous l’aurez compris, nous sommes en présence d’un jeu de rôle atypique, très adulte et intéressant. Sa violence verbale et psychologique pourra en choquer certains, mais le résultat est un sentiment d’immersion et de réalisme rarement atteint. The Witcher est un jeu qui a su innover et sortir des sentiers battus, et fera date rien que pour cela. On lui reprochera par contre :
– des temps de téléchargements calamiteux (20 secondes de chargement à chaque fois que vous rentrez dans un bâtiment en ville et 45 pour en resortir, c’est décourageant),
– des personnages au physique trop redondant,
– une liberté toute relative (sous un couvert de liberté, le jeu est divisé en zones, et il vous faudra souvent finir certaines quêtes afin de continuer).
Bref, un jeu à recommander pour les joueurs qui privilégient le scénario et l’ambiance. Pour la première fois depuis bien longtemps nous sommes en présence d’un jeu pour lesquels les mécanismes du jeu servent le scénario, et non l’inverse. Les décisions du joueur ne se limitent pas à choisir la voie « bonne » ou « mauvaise » et tout comme dans la vie réelle, les choix ne sont jamais simples, mais seront tous en demi-teinte. Les conséquences les pires pouvant découler des meilleures intentions, l’adage énonçant que « l’enfer est pavé de bonnes intentions » prend, dans le scénario, toute sa signification.
Pour autant, malgré ses qualités, The Witcher est un titre avec de nombreux défauts, dont certains gâchent quelque peu le plaisir de jeu, tels que les temps de chargement. Cela dit, nous sommes en présence d’un titre qui fera incontestablement date dans le monde du jeu de rôle PC, comme Fallout l’avait fait en son temps.
The Witcher / CD-Project / Atari / 2007