Alors que la situation financière d’Obsidian était critique, leur est venue l’idée de lancer la campagne de financement de la dernière chance via kickstarter, en proposant de créer un jeu dans la tradition de l’illustre série Baldur’s Gate, un style de RPG délaissé par les éditeurs depuis plus de 10 ans.
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Pillars of Eternity
Sans faire durer le suspens, disons le tout de suite, s’il n’en porte ni le nom, ni utilise les règles de Donjons & Dragons, Pillars of Eternity est un jeu dans le plus pur style de l’Infinity Engine, le moteur de jeu de cette série mythique. Non seulement en ce qui concerne sa vue, mais également en ce qui concerne son interface, son style de jeu, les dialogues, et l’utilisation des compétences des personnages dans les dialogues et pour certaines actions. La parenté est tellement évidente, qu’on en est même à retrouver le curseur propre aux titres dont il s’inspire. Visuellement le jeu propose des décors fixes dessinés à la main du plus bel effet, avec la possibilité de zoomer légèrement avec la souris histoire de moduler la vue centrée sur l’équipe des personnages. Ceux-ci sont assez détaillés, dessinés selon l’équipement porté, et l’ensemble reste correctement animé, même si l’aspect général du groupe reste parfois en deçà de ce qu’on a pu voir sur d’autres titres. Quoiqu’il en soit, l’exploration du monde est magnifique, et dès que l’on entre dans une des nombreuses zones explorables de la carte générale, le plaisir est immense à découvrir les zones de jeu, non seulement plus belles les unes des autres, mais aussi intéressantes de par le soin apporté aux structures qui s’y trouvent. Le plaisir de parcourir le monde est d’autant amélioré que les musiques d’ambiances sont magnifiques, avec des petits airs d’Howard Shore (Lord of the Rings). Seul petit bémol, les musiques de combat, trop présentes, et trop peu nombreuses pour ne pas devenir irritantes à la longue. On fera la même remarque pour certaines incantations lancées systématiquement au début de chaque escarmouche.
Concernant le système de jeu, Obsidian a opté pour la création complète de règles, avec leurs classes de personnages, caractéristiques et gestion des combats. Le joueur va faut créer son personnage, en choisissant non seulement sa race, sa profession, mais également ses attributs, ses talents, ses pouvoirs/sorts, … Si l’aide intégrée au jeu et la description de chacun de ces éléments est bien fouillée, on sent très rapidement que cela sera nettement insuffisant pour saisir les tenants et les aboutissants de vos choix. De là découle le réflexe depuis bien longtemps oublié, se référer au manuel, fort heureusement plutôt détaillé, même si celui-ci reste en anglais (le jeu étant intégralement traduit en français). Autant le dire tout de suite, créer des règles de jeu de rôle n’est pas donné à tout le monde. Il faut à la fois créer quelque chose de cohérent, un système intelligemment pensé, profond et permettant de gérer de multiples situations, mais il faut aussi garder en tête que celui-ci doit rester assez accessible et intuitif.
Si le premier aspect est une franche réussite, on ne peut pas vraiment en dire autant pour ce qui est du côté accessibilité. La série de Baldur’s Gate utilisait les règles AD&D bien connues des rôlistes à l’époque, mais Obsidian, n’ayant aucun droit sur la licence, ils ont opté pour un système complètement novateur, qui s’inspire pourtant à bien des égards de son aîné. On se retrouve avec quelque chose de particulièrement déroutant, et pourtant je peux vous dire que j’en ai vu des systèmes de jeu, et maîtriser ceux-ci fait partie pour moi d’une grande partie du fun. Ici j’ai eu du mal, d’autant plus que le manuel a été modifié par pas mal d’erratums publiés sur le site officiel. Alors certes, on finit par s’en sortir dans les grandes lignes, mais on a du mal à cerner le système dans ses moindres détails. Le jeu faisant la part belle à l’optimisation de votre personnage, caractéristique après caractéristique, en fonction de vos choix de progression et des bonus accordés par les objets de votre inventaire, ce manque de lisibilité est un peu dommage.
Pour comprendre la complexité du système il suffit de créer son personnage. Aux 6 races, 11 classes et 7 cultures différentes se rajoutent les caractéristiques de celui-ci. Avec des titres comme la puissance, la constitution, la dextérité, la perception, l’intelligence, et la détermination, on pourrait croire qu’on est en territoire connu, mais non… La puissance aura des répercussions sur la magie, alors que la perception aura des effets sur les réflexes (l’une des 4 défenses de votre personnage: Déviation, Courage, Réflexes et Volonté)…
A votre personnage pourront se joindre jusqu’à six aventuriers, qu’ils soient recrutés et personnalisés par le joueur dans une auberge, ou que se soient des personnages rencontrés au détour d’un chemin, ayant leurs propres objectifs.
Si le rôle de certaines classes de personnages sont évidents (guerrier, paladin, …) d’autres auront certaines capacités exotiques mais leur rôle seront moins évidents (chanteur ? clairvoyant ?). Sachant qu’il n’y a aucune limitation dans l’utilisation des armes ou des armures, toutes les classes y ayant accès accès, les avantages d’avoir une armure lourde entraînant un ralentissement des actions ou une armure légère permettant d’agir plus rapidement reste un point assez controversé quant au choix à effectuer. Avec Pillars of Eternity, on est proche des règles de Donjons & Dragons, et des RPGs traditionnels, mais il faut aussi désapprendre certains réflexes. Utiliser une épée à deux mains pour un mage est tout à fait possible, tout comme utiliser une armure de plate intégrale. Seule la vitesse d’action sera influencée par ce choix…
Quoiqu’il en soit, Obsidian a créé un système d’une complexité rare, gérant de multiples facteurs, avec des classes de personnages parfois vraiment bien pensés. Les mages posséderont plusieurs grimoires, permettant de jeter une petite sélection de sorts, le changement de grimoire étant possible en combat, mais nécessitant un temps conséquent pour pouvoir en changer. Le chanteur, quant à lui, devra se référer à son carnet de chant, préparer ses phrases et les combiner pour obtenir certains effets ayant une synergie entre elles, pour au final obtenir un pouvoir spécifique à la fin du chant. C’est intéressant, gratifiant et particulièrement bien pensé.
A cette richesse s’ajoutera la gestion de l’inventaire, avec des objets donnant tel ou tel bonus/malus, ou des effets …malheureusement parfois eu peu mal documentés (Raclée 2 : confère coup ? …).
Les armes et armures pourront être améliorées facilement, avec une excellente gestion de l’artisanat. Il suffira d’avoir ramassé les objets nécessaires, d’examiner la pièce d’équipement pour pouvoir directement l’enchanter et y appliquer l’amélioration. C’est simple, plaisant et efficace et certains RPGs concurrents pourraient en prendre de la graine (qui a dit Dragon Age Inquisition ?)…
Les combats en temps réel avec pause, quant à eux, permettront plus ou moins le développement de certaines tactiques, le rythme du temps réel étant assez rapide, voire un peu trop rapide. La moindre altercation se résumera à mettre le jeu en pause, donner à chaque personnage son ordre, sortir de la pause, pour la remettre au bout de quelques secondes et redonner des ordres aux personnages ayant exécuté l’ordre précédent. En effet, si vos combattants au corps à corps seront assez intelligents pour changer de cible lors d’un engagement, il n’en sera pas de même pour les combattants à distance (archers ou mages) pour lesquels l’utilisation de la pause sera indispensable pour leur donner les ordres suivants sans attendre bêtement. La gestion de la magie avec des zones d’effet sera également assez frustrante, avec la sélection de la zone d’effet en début d’incantation d’un sort, et des adversaires se déplaçant au contact la plupart du temps avant que le sort ne se déclenche. Ca limite un peu le coté tactique, et sous des aspects très stratégiques le joueur ne peut que se focaliser sur la gestion du type de dégâts adapté en fonction des des résistances de vos adversaires. Quelque part Obsidian y aurait gagné à opter pour un système de combat en tour par tour ou en combat phasé, mais dans l’optique d’une suite spirituelle à la série Baldur’s Gate, ce n’était évidemment pas possible.
De manière assez inhabituelle dans le monde du RPG, Pillars of Eternity ne récompensera pas par de l’expérience le fait de vaincre ses adversaires. Tout au plus, les fiches de l’encyclopédie des monstres se remplira en relevant les résistances et les caractéristiques des monstres, ce qui permettra de sélectionner par la suite le meilleur équipement et la meilleure manière de vaincre ses adversaires. Ce sera par la résolution de quêtes, par certains dialogues et par les choix du joueur que l’expérience sera distribuée et permettra la progression des personnages (nouveaux sorts, nouvelles compétences, etc..).
Pillars of Eternity brille en fait surtout par son scénario et par la richesse de son monde. A ce titre, Obsidian a véritablement créé quelque chose d’exceptionnel, qui n’a rien à envier aux ténors du genre.
On ne relèvera pas seulement la richesse, la densité et la diversité du monde d’Eora, mais encore et surtout son histoire, sa mythologie, ses civilisations, factions, luttes d’influences, races, mais aussi l’impression de pénétrer dans un univers totalement nouveau et original. Si une encyclopédie de plus de 100 pages a d’ores et déjà été publiée, se rajoutant au « guidebook » de 500 pages, ce n’est pas pour rien…
Dévoiler par trop l’excellent scénario dans un test serait vraiment en gâcher la découverte, sachez simplement qu’il est assez sombre, et qu’il mènera à enquêter sur la raison pour laquelle les nouveaux nés naissent depuis peu en n’ayant plus aucune réaction, dénués de toute âme… A cette excellente trame principale s’additionne une multitude de quêtes annexes, venant enrichir grandement l’histoire et le monde, sans proposer quoique ce soit d’inutile ou de rébarbatif.
La qualité d’écriture des dialogues, quant à elle, ne sera vraiment pas en reste. On soulignera une fois de plus le talent d’Obsidian pour offrir des dialogues et une trame intéressante, c’est clairement un point fort du jeu. Pour certains titres, les dialogues ou les livres ne sont que des prétextes à donner des quêtes, ici, ce seront le cœur du jeu, la raison pour laquelle le joueur se trouve impliqué dans la trame scénaristique et les raisons qui pousseront à agir. Autant dire qu’il s’agit d’un pour lequel les allergiques aux textes habitués à passer le texte pour valider la quête à effectuer en seront pour leurs frais, et ne comprendront rien à l’histoire.
On apprécie aussi ça et là quelques petits interludes décrivant l’environnement ou mettant le joueur en situation afin de lui demander de faire certains choix qui auront des conséquences sur la suite de l’aventure. Que ce soit pour la résolution d’une énigme, par un simple descriptif des événements, ceux-ci rajouteront de manière intelligente une touche d’immersion supplémentaire.
Seul petit bémol qui casse un tout petit peu l’immersion, les nombreuses stèles et PNJs dont les histoires personnelles ont été créées par ceux qui ont financé le jeu, qui paraissent parfois un peu hors de propos, et qui peuplent les villes et villages. les développeurs ayant eu la bonne idée de marquer leur nom d’une autre couleur, il sera aisé de les ignorer.
Pour conclure, Pillars of Eternity est non seulement un retour aux sources, mais il se permet également de créer un nouveau système de jeu, et de transcender la série dont il s’inspire et les vénérables jeux de l’Infinity Engine. C’est un véritable bonheur de découvrir un monde d’une telle richesse, avec un scénario digne des plus grands titres du genre. On pourra toujours lui reprocher un système de jeu parfois inutilement complexe ou mal documenté, un système de combat éprouvé, mais souffrant de défauts inhérents au temps réel avec pause qu’avait mis en place Baldur’s Gate (ces fichus adversaires sortant de ma zone d’effet du sort avant qu’il soit lancé, son temps réel trop rapide), mais s’il n’est pas parfait, ces défauts sont largement compensés par ses immenses qualités scénaristiques. D’ailleurs s’agissant du système de jeu mal documenté, ou mal expliqué, c’est bien peu de chose pour une nouvelle licence créée totalement « ex nihilo ».
Pillars of Eternity, RPG de l’année 2015 ? Fort probablement.
Un incontournable ? Sans aucun doutes.
Pillars of Eternity / Obsidian / 2015
Notes
Graphismes et sons : 4/5
Magnifiques décors, musiques d’ambiance superbes très à propos, même si celles des combats tournent un peu en boucle et sont un peu répétitives.
Interface de combat : 3/5
Du temps réel avec pause, avec ses qualités et ses défauts. Des combats brouillons et une gestion de personnage manquant parfois de lisibilité en étant un peu mal documentée.
Scénario : 5/5
Un monde, des dialogues, un scénario global et des quêtes passionnantes. Un must.
Jouabilité (fun) : 5/5
Les quelques petits défauts relevés sont largement compensés par la qualité de l’ensemble. Un vrai RPG incontournable à ne manquer sous aucun prétexte.
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