Kingdom Come Deliverance

Lorsqu’en plein hiver 2014, Warhorse Studios, un studio de développement tchèque que l’on ne connaissait ni d’Adam ni d’Eve, a lancé sa campagne de financement collaboratif sur Kickstarter en annonçant un jeu de rôle purement historique, j’étais quelque peu sceptique, même si le concept paraissait quelque peu prometteur.

A la base, le projet semblait casse-gueule. Personne, depuis feu Microprose avec le vénérable Darklands, ne s’était lancé dans l’élaboration d’un jeu sans dragons, sans magie, sans monstre, le tout dans le respect le plus total de la situation historique. Annoncé en plus comme un jeu « triple A » avec un budget pharaonique, on se demandait qui pouvait être le fameux « investisseur » qui demandait au studio de faire un Kickstarter histoire de voir si le concept intéressait le public.

Accessoirement, je me demandais s’il y avait assez de matière au niveau historique pour élaborer un scénario vraiment prenant et intéressant dans un jeu de rôle.

J’étais loin de me douter de l’excellence du résultat.

Des décors somptueux

Kingdom Come Deliverance vous met dans la peau d’Henry, un forgeron de Talmberg, un petit village de la Bohème en 1398. Alors que la guerre fait rage, entre les soutiens au roi Venceslas, monarque porté sur la bouteille et les filles et les armées de Sigismond, son demi-frère, le village est rasée et le personnage sera pris à parti au milieu du conflit entre ces armées.. 

Soyons clair, la période est intéressante et le chaos ambiant y est magnifiquement décrit. La chrétienté y compte trois Papes, le royaume de Bohème un roi défaillant et son prétendant, et le Pays est parcouru par des armées de Coumans décimant tout sur son passage. Le tout sans compter un monde médiéval dont on est loin de se douter de tous les détails de la société de l’époque, parfaitement reconstituée.

Au niveau reconstitution justement, c’est du grand art. A la vue subjective se rajoute des décors somptueux des villages de l’époque, grouillants de vie, avec leurs habitants vaquant chacun à leur occupation à toute heure du jour ou de la nuit. Le paysan du coin se lève le matin, déjeune, va travailler, prend une collation lors de sa pause, pour travailler encore et retourner se coucher, sans avoir oublié de se rendre à la taverne, lieu de rencontre et d’échanges sociaux. Avec des villages à l’architecture fidèle aux ruines ou habitations restant encore aujourd’hui, le studio a effectué un travail de recherches monumental, encore inédit à ce jour. Non seulement les éléments retranscrits dans le journal sont plus qu’intéressants sur les us et coutumes de l’époque, mais cette atmosphère très particulière et les implications sociétales de l’époque sont respectées et font partie intégrante du scénario et des réactions des personnages.

Kingdom Come Deliverance – les bains publics, parfois lieux de débauche…

En tant que roturier, il faudra bien faire attention de ne pas se faire attraper si l’on chasse sur les terres du seigneur, on notera le statut très particulier du bourreau dans les villages, du bailli, de chacun des habitants, mais aussi celui des filles des bains publics. 

Techniquement, et surtout visuellement il n’y a rien à redire. le jeu est magnifique et l’immersion est totale. les décors sont d’un réalisme hors pair, et seuls quelques bugs de collision ou de textures de vêtements de notre personnage sont à déplorer. A ce niveau d’ailleurs, le studio a fait très fort. Ce ne sont pas moins de 16 emplacements de vêtements pouvant se superposer qui sont gérés. N’importe quel foulard, gambison, cotte de maille ou botte aura droit à son visuel, qui se superposera aux couches de vêtement. Quelque part à trop vouloir gérer les détails on s’emmêle un peu les pinceaux, et quelques bugs de textures de vêtement superposés casseront l’immersion découlant de ce souci du détail, mais rien de grave.

Kingdom Come Deliverance – les combats peuvent être animés…

Au niveau du gameplay non plus, le studio n’a pas voulu faire comme les autres. Avec une vue subjective, le titre aurait pu se limiter à l’utilisation du bouton de souris pour donner des coups dans 3 directions, mais souhaitant aller dans le réalisme le plus poussé, Daniel Vavra, le directeur créatif a imaginé un système de localisation des dégâts selon les zones du corps touché, avec les blessures correspondantes à celles-ci, tout en tenant en compte de la protection de la partie du corps en question. 

Au final, la solution est viable. On va viser les parties du corps les moins protégées, essayer de faire des feintes, se défendre au bon moment pour porter le coup adapté. C’est un système plutôt complexe, mettant en scène une sorte de rose des vents à 5 directions, où chaque coup peut être porté en fonction de l’énergie dont dispose le joueur et pour arriver à place la bonne combinaison. Avec du recul pourtant on se retrouve plus avec une sorte de QTE aux ramifications difficile à maîtriser, dont le résultat tiendra plus de l’équipement et du niveau de compétence du personnage que de la dextérité du joueur. Quoiqu’il en soit, les débuts sont difficiles, très difficiles. 

Aux premières altercations auxquelles le joueur fait face, se substituent d’ailleurs rapidement des bras en lambeaux, des commotions cérébrales et autres côtes cassées, et cela sans que le jeu vous prévienne, pour notre plus grand plaisir !

De simple forgeron, Henry va évoluer…

Notre héro, Henry n’est qu’un forgeron, et ce n’est pas parce qu’il va trouver une épée, qu’il saura s’en servir, et de manière très habile, le titre vous fait comprendre qu’en incarnant un fils de forgeron, ce dernier n’a aucune compétence de combat. Ce ne sera qu’après plusieurs heures de jeu, avec un entraînement assidu auprès d’un maître d’armes, que le personnage apprendra à parer correctement un coup, mais aussi à porter des attaques efficaces en fonction de la situation. Mis à part les limitations inhérentes à ce système de combat loin d’être parfait, j’ai pourtant apprécié pour ma part cette phase de semi-tutorial, où le joueur découvrait et apprenait en même temps que son personnage certains réflexes de survie en situation de combat. 

J’ai aussi d’ailleurs laissé échapper un sourire, lorsque tout content d’avoir économisé quelques Groschens (la monnaie de l’époque), j’ai fait l’acquisition d’un livre expliquant comment démarrer l’alchimie. Pétri des (mauvaises) habitudes de nombre de jeux de rôles, j’avais juste oublié qu’un forgeron du 14ème siècle sans éducation était loin d’être en mesure de savoir lire. Dans le même genre, on relèvera aussi le côté un peu vicieux des programmeurs, éliminant le réticule de visée présent pendant toutes les phases d’exploration, lorsque le joueur dégaine son arc…. 

Une feuille de personnage bien fournie

Au niveau de la fiche de personnage, on découvre en effet ici un titre entièrement orienté sur l’apprentissage des compétences par le personnage par l’utilisation de ces talents. Si certains talents ne peuvent découler au départ que d’un apprentissage chez un personnage non joueur (qui a parlé de lecture ?), ce sera pour la plus grande partie l’utilisation qu’en fera le joueur qui résultera sur une progression. Les caractéristiques telles que la force,

Dialogues et enquête bien scénarisés

ou la dextérité augmenteront également en fonction des compétences utilisées.

S’agissant d’un jeu en temps réel, on peut se poser la question de l’importance des réflexes du joueur dans le jeu, et je dirais que oui, ils ont une certaine importance, mais que cette importance se doit vraiment d’être relativisée, l’équipement et les compétences du personnage étant déterminantes.

Une fois de plus, le maître mot sera le réalisme. 

Je ne m’étendrai pas particulièrement sur les décors somptueux du jeu ou les musiques dignes d’un orchestre philharmonique. Visiblement le studio a eu les moyens et ça se voit. Ce sera plus au niveau du gameplay qu’on va développer un peu.

Kingdom Come Deliverance est avant tout un jeu ouvert, à l’exploration libre du monde et c’est notamment sur ce point qu’il brille. Si le monde explorable parait un peu exigu au départ, il est en fait impressionnant de densité. Ici on ne va pas parcourir des centaines de kilomètres pour explorer un continent, mais simplement explorer une région de bohème où se situent quelques petits villages médiévaux et deux châteaux. A la différence d’un Skyrim, ici pratiquement tout le monde aura un vécu, une histoire à raconter, et souvent une implication dans l’histoire. Les quêtes, très bien intégrées aux préoccupations de l’époque, seront intéressantes et fouillées. Seules quelques « activités » seront très peu scénarisées, genre « apporter de la viande à l’aubergiste », et ne présenteront que peu d’intérêt outre le fait d’aller faire une partie de chasse dans les forêts seigneuriales.

Un jeu ouvert et réaliste très réussi à explorer

Le scénario principal se superpose à ces décors somptueux et à ces quêtes agréablement réparties. Celui-ci a l’avantage d’être très intéressant, et parle de vengeance, de complot et part d’une véritable enquête qui mènera son principal protagoniste notamment à la recherche de meurtriers et d’un complot visant à déstabiliser les seigneurs locaux. Sans trop en dévoiler, celui-ci permettra de goûter à toutes les activités possibles dans le jeu, allant de l’exploration furtive, du combat entre armées, mais aussi jusqu’à participer à un siège de château sans oublier la découverte de la vie monastique. 

On relèvera toutefois un petit défaut spécifique à ces quêtes, touchant au côté technique. Le jeu usant et abuse de scripts se déclenchant à quelque moments clés de l’intrigue. Qui dit scripts, dit éléments déclencheurs, et un jeu offrant une grande liberté au joueur est tout à fait susceptible de déclencher ou de ne pas déclencher certains événements si le joueur ne fait pas les choses dans l’ordre prévu par les programmeurs. Pour ma part, il m’est arrivé à deux reprises de devoir refaire quelques minutes de jeu, un commutateur ne s’étant pas déclenché parce que je n’étais pas passé exactement là où j’étais sensé le faire. Lorsque l’on rajoute à cela quelques bugs de déplacements de personnages non joueurs que j’étais sensé accompagner, cela mène à des situations cocasses, où j’étais contrait de contenir et de repousser mon compagnon de route avec mon cheval, afin qu’il retourne sur la route plutôt que d’essayer de passer à travers le mur du château voisin.

Découverte de la vie monacale…

Mis à part ces quelques petits défauts, il faut souligner que je n’ai pas rencontré de « plot stoppers », et je n’ai eu aucun crash à déplorer dans les 70 heures de jeu qu’il m’a fallu pour boucler le titre.

Un dernier mot sur le système de sauvegarde. Celui-ci est automatique lorsque le joueur dort, mais offre aussi la possibilité de reprendre le jeu où on s’est arrêté lorsqu’on sort du jeu.

La sauvegarde à tout moment, quant à elle, ne sera possible que par le biais de bouteilles de Schnaps à acheter chez le marchand du coin à un prix loin d’être anodin. C’est bien trouvé, ça responsabilise un peu et ça évite la sauvegarde rapide à tous moments.

Pour moi, Kingdom Come Deliverance a été une excellente surprise de ce début d’année 2018, et si ce dernier est loin de posséder les questionnements moraux d’un The Witcher 3, il joue toutefois dans la même cour, avec des qualités qui lui sont propres.

On peut dire que Warhorse Studios n’a pas fait dans la facilité et qu’ils ont réussi leur entrée dans la cour des grands avec un brio rare pour un premier titre.

Bref, un jeu de rôle incontournable, offrant une excellente jouabilité dans un monde passionnant. Probablement le jeu de l’année 2018.

Tout est dit.

Notes

Graphismes & Sons : 5/5
Somptueux, réaliste, et des musiques totalement adaptées. Un sans fautes.

Interface de combat : 3/5
Très fouillé pour une vue subjective, poussant le réalisme très loin, mais rendant difficile l’application des options tactiques s’apparentant parfois trop à des QTE. Ce n’est pas mauvais, mais sous des dessous de complexité tactique trop difficile à maîtriser, on a tendance à agiter son épée comme une brochette de poulet plutôt que dans les règles de l’art de l’escrimeur. Fort heureusement, les combats ne sont pas au cœur du jeu.

Scénario : 4/5 
Un scénario global bien intéressant sur fond historique. On retrouvera avec stupeur nombre des protagonistes de l’histoire dans Wikipedia, et on est loin de s’y ennuyer. On relèvera toutefois un peu de mollesse dans le dernier tiers où l’histoire tire un peu en longueur lors de la préparation d’un siège de chateau.

Jouabilité (fun) : 5/5
C’est beau, c’est bien, c’est indiscutablement un titre phare de 2018, un incontournable qui ne m’a pas lâché de bout en bout.