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Disco Elysium
En se réveillant, l’homme a du mal à faire le point sur l’enchaînement de circonstances qui l’ont mené dans cette chambre d’hôtel saccagée.
Ce visage ravagé qui le nargue dans le miroir de la salle de bain, est-il le sien ? Et pourquoi les gens n’arrêtent-ils pas de dire qu’il est flic ? Et s’il est policier, où sont son flingue, son badge et sa chaussure gauche ?
Qu’importe, le devoir n’attend pas ! Enfin si, vu que le cadavre sur lequel vous étiez censé enquêter se putréfie gentiment dans une ruelle depuis une dizaine de jours.
Pas facile de réinventer le jeu de rôle sur ordinateur. Petit à petit, le genre s’est fossilisé dans des codes stricts qui sont autant de niches hermétiques invariablement déclinées en SF et Fantasy. Les ados qui s‘éclataient sur Fallout 2 sont devenus des pères de famille, et ils méritent un loisir à jour. Pourtant, vouloir sortir de ces cadres est de toute évidence un risque, une de ces stratégies « quitte ou double ». Là où Torment Tide of Numerama s’était ramassé en tournant à l’autoparodie, Disco Elysium a réussi sa gageure : remettre le récit, le rôle et l’ambiance au centre du RPG en s’adressant à un publique résolument adulte prêts à s’investir dans un récit mature. Si vous n’aimez pas lire beaucoup, Disco Elysium n’est pas pour vous.
« Je » est plein d’autres
Il n’y a qu’un seul personnage à jouer dans Disco Elysium. Mais, sa schizophrénie latente, son syndrome de Korsakoff avancé et sa vie intérieure riche l’ont découpé en petits morceaux cognitifs bavards. Vous allez passer beaucoup de temps à discuter avec vous-même. Que le parfum fugace d’une belle femme réveille l’homme esseulé en l’inspecteur, et voilà un dilemme entre son cœur et sa volonté de ne pas se laisser manipuler par le premier jupon venu. Confronté à une bouteille de vodka séductrice (les objets parlent dans ce jeu), il devra répondre à ses suggestions licencieuses de la boire. Cette anatomie de l’âme dessine une personnalité complexe, à travers 24 ( !!!) compétences permettant de créer le flic dysfonctionnel polytoxicomane de ses rêves.
Fait novateur, DE ne sanctionne jamais les conduites erratiques (drogue, alcool, graffiti, corruption). Bien au contraire. Vous êtes donc libre de faire un peu n’importe quoi, et l’échec à un test de compétence ne vous met jamais au pied du mur.
J’ai toujours eu une tendresse pour les paumés dans la fiction, et il faut bien dire que ce personnage-là saura vous toucher, vous faire rire et réfléchir.
Pâle rider et Disco-Rave
Le monde de Disco Elysium semble avoir une vie hors de l’écran. Résolument rétrofuturiste, le méta-univers est riche en détails géopolitiques, culturels et en petites anecdotes. On sent que quelqu’un l’a pensé avec soin comme un tout cohérent, a contrario des décors en carton-pâte genre Tide of Numerama. Mon conseil : investir un minimum de points dans l’intellect ou le social, sous peine de passer à côté d’un background hallucinant.
Le théâtre de l’intrigue est un quartier misérable de bidonvilles où une force internationale colonialiste a brisé jadis une révolte populaire communiste. À Martinaise, des syndicats mafieux s’opposent à des ploutocrates sans scrupules dans une lutte des classes cynique. Les flics -ces laquais du capitalisme pour les habitants du quartier- se hasardent rarement à pointer le bout de leur nez ici. Même en cas de mort violente, comme celle sur laquelle vous allez enquêter.
« Toute ressemblance entre ce monde et le nôtre est purement fortuite », pourtant, un certain malaise diffus s’installe chez le joueur. Sans jamais tomber dans la caricature de l’actualité, cet elysium-là nous renvoie à des interrogations bien contemporaines. Votre personnage est d’ailleurs invité à méditer toute sorte de sujets à travers un système inédit de « pensées » qui progressivement deviendront des convictions (qui apportent leurs propres bonus/malus).
Voulez-vous penser à la lutte des classes, à l’immensité de l’espace-temps, à cette chanson ringarde des années 20, au féminisme, aux étrangers qui volent le travail des locaux ? C’est possible.
À noter que pour s’amuser sur Disco Elysium, il faudra parler un anglais impeccable, puisque de nombreux détails nécessitent une connaissance extensive de la langue de Shakespeare. La question de la francisation qui devra être parfaite pour reproduire fidèlement l’esprit du jeu se pose avec une acuité toute particulière.
Survêt’-cravate- pied-de-biche
Je ne vais pas trop m’attarder sur les détails de gameplay empruntés aux RPG classiques. Les vêtements d’abord, qui donnent bonus et malus, et obligent à se trimbaler sapé comme l’AS de pique. Les jets de compétences qui se déclinent en deux saveurs : ceux qu’on ne tente qu’une fois, et ceux qu’on peut recommencer avec des bonus contextuels. L’expérience et l’augmentation de niveau qui donne droit à un point de compétence, une nouvelle pensée, ou la destruction d’une idée. La très faible quantité de combats, qui se résolvent tous textuellement. L’inventaire, qui deviendra vite une véritable brocante, et où certains objets sont activables pour éventuellement parler d’amour à cet emballage de chewing-gum, ou se siffler une ligne d’amphétamines au travail. On trouve vite ses marques et ça marche plutôt bien, si on oublie le pathfinding pas terrible, hérité de l’Infinity Engine.
Au final, le Gameplay de Disco Elysium est hybride, et emprunte aux « points and clicks » des années 90 en lui rajoutant une surcouche RPG solide. C’est particulièrement flagrant dans le choix de PNJ avec lesquels interagir.
Des personnages hauts en nuances de gris.
Martinaise est peuplée de fou furieux. Ils vous donneront vite du fil à retordre (vous n’êtes pas bienvenu dans le ghetto) mais aussi des moments d’anthologie. Qu’il s‘agisse de voler de la drogue pour la racaille du quartier, de parler à un homme tellement riche que sa fortune courbe les lois de la relativité générale (oui, vous avez bien lu), les quêtes vont vous faire questionner sans cesse la santé mentale de l’inspecteur H. Pour tempérer vos errements et recadrer l’histoire, vous serez accompagné du très taiseux « Kim », votre équipier souvent dépassé. Il est là pour poser des limites.
C’est la fin de l’hiver sans être le printemps, et ce monde fatigué n’est que neige sale, ruines et rouille. Par-delà le détroit, un univers très différent est évoqué. Vous ne le verrez pas.
Disco Elysium s’achève brutalement après une bonne trentaine d’heures de jeux. De nombreuses questions restent sans réponse comme après un bon roman. Sans déflorer l’intrigue, il est absolument clair qu’une suite est possible (et souhaitable) et que la licence pourrait bien se décliner en « épisodes » qui seraient autant d‘enquêtes barrées de l’inspecteur Disco Harry.
Comme CD Project a (paraît-il) collé une belle claque aux fonctionnaires du RPG avec un Witcher à même de chambouler l’action-RPG, ZA/UM change les règles du jeu de rôle d’ambiance.
Avec ce morceau d’histoire du jeu vidéo (ouais, carrément) un nouveau standard d’excellence a été atteint. Je prie pour qu’il fasse école.
Graphismes et sons : 4/5
Musique atmosphérique, ambiance bistre et variantes de blancs sales. L’image et le son contribuent à l’ambiance. Quelques scènes minimalistes (le karaoké) tiennent le récit et lui donnent un cachet
Interface de combat : NA
Non applicable.
Scénario : 5/5
Du grand art.
Jouabilité (fun) : 4.5/5
Ça se joue comme lire un livre. Le rythme lent vous aspire dans un univers. Pour certain ça sera intolérable, pour moi c’est excellent. Les nombreux aller-retour sur la carte coûtent cependant un demi-point à DE.
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